Retranscription de Le monde nous surprend, dans le bon sens, le 6 juin 2020.
Bonjour, nous sommes le dimanche 6 juin 2020 et ma petite vidéo de ce matin s’intitulera : « Le monde nous surprend, dans le bon sens ».
Ça, c’est un petit peu différent de ce que j’ai pu faire depuis quelques mois. Pourquoi ? C’est parce que… bon, je vais parler de trois choses. Je vais parler du Covid-19. Je vais parler des Etats-Unis et des mouvements dans le monde qui sont dans le sillage de ce qui s’est passé récemment et qui va encore se passer aujourd’hui aux Etats-Unis et, ensuite, je vais parler de la France et, en particulier de… je vais revenir une fois de plus sur cet entretien que j’ai eu avec François Ruffin, c’était quoi, il y a 3 jours, quelque chose comme ça. Mais je vais commencer par le début.
D’abord, le Covid-19. Je viens de regarder les chiffres quand même, avant de m’avancer, les chiffres au niveau mondial. Le nombre de cas continue de grimper mais le nombre de morts continue à baisser. C’est-à-dire qu’on commence à comprendre, au niveau des soins, comment ça marche. Cette maladie commence à être comprise. Chacun de ces virus, quand il fait le saut d’une espèce animale autre que nous vers nous, il faut comprendre ce que c’est, de la même manière qu’il faut comprendre quel genre de molécules pourront avoir une action ou non sur ce virus.
Je vous rappelle ce que j’ai appris de M. Gilles Bœuf, l’autre jour, dans une petite vidéo, les discussions de savoir si un virus est vivant ou non, c’est une question de définition. La question est la suivante : est-ce qu’on a besoin de dire d’un animal qui, pour se reproduire, a besoin d’autre chose que lui-même, est-ce qu’il faut dire du coup que ce n’est pas vivant ? Non, puisqu’il a son action sur le monde qui fait qu’il va agir en tant que parasite et donc, il va trouver autre chose et donc, finalement, savoir si c’est vivant ou non n’a pas d’importance. Ça peut être ou pas dangereux pour nous et c’est ça, de notre point de vue, qui compte. On revient aux classifications de Rumphius par rapport à Linné.
Juste un petit mot. Linné, vous le savez, c’est le premier à faire une grande classification des plantes et des animaux en termes d’inclusion de catégories les unes dans les autres et Rumphius, c’est quelqu’un qui, au XVIIème siècle, c’est un Néerlandais, qui accompagne une expédition en Indonésie, pour la Compagnie des Indes Orientales. Et il établit une grande classification de tout ce qu’il voit et qu’il n’a jamais vu : animaux, plantes.
Donc, c’est un précurseur, si vous voulez, de Linné, mais il ajoute – il classe les choses selon la ressemblance physique (ça donnera lieu, ensuite, à une classification en fonction de ce qu’on a compris de la génétique) – mais il classe aussi les choses en choses « utiles » ou « nuisibles » – des considérations de cet ordre-là. Il met pour certains types d’arbres : « Pourrait être utile pour construire la charpente des navires », des considérations de cet ordre-là. Et c’est un peu comme ça qu’il a fallu que nous réfléchissions à ce virus.
On commence à comprendre. On commence même à se dire, à se poser la question de savoir s’il y a des gens qui ne sont pas immunisés du fait d’avoir rencontré d’autres coronavirus à d’autres époques, des choses de cet ordre-là. On commence, voilà, on commence à comprendre.
En particulier, on essaye de mettre au point un vaccin. On a déjà maintenant pu tester un certain nombre de substances et je ne vais pas vous rappeler les controverses autour du fait de dire si le machin, si la substance X ou Y fonctionne ou non. Il y a des disputes entre savants en ce moment-même sur ces questions-là qui montrent, qui soulignent une chose dont on a parlé sur mon blog à propos du coronavirus, c’est qu’il y a très peu de gens, même parmi ceux qui devraient connaître ça, qui comprennent ce que c’est les statistiques, qui comprennent comment on fait une étude statistique, qui comprennent ce qui est valable et ce qui ne l’est pas, qui devraient comprendre qu’on ne modifie pas l’échantillon en cours de route, qu’on ne met pas simplement entre parenthèses les gens qui ne sont pas revenus la fois suivante et ainsi de suite. Ce qui a déconsidéré un certain nombre d’équipes – je ne vais pas mettre d’étiquette là-dessus – de ne pas comprendre les choses élémentaires sur ce qu’on essaye de prouver.
Mais bon, les chiffres montrent un petit flottement ces jours-ci, dans les pays qui ont déconfiné. Il n’est pas impossible que ça reparte mais, en tout cas, ce n’est pas reparti sur les chapeaux de roue, ce qui est déjà une chose et qui nous permet, à vous et moi, de souffler, de sortir dans la rue, de revoir des gens, voilà.
Donc, plutôt bonne nouvelle de ce côté-là et ce n’est pas tellement, je dirais, en nombre de cas qu’il faut l’évaluer mais c’est en estimations, en évaluation de ce qu’on a l’air de comprendre maintenant par rapport à la manière dont ce truc fonctionne et plus ça va aller, plus on va comprendre.
Ce qui attire l’attention sur la méthode scientifique et surtout, sur une certaine déperdition de la compréhension à l’intérieur même des disciplines, sur comment ça marche. Là, une petite remarque quand même. Vous le savez, je n’ai pas une expérience qui est simplement dans le domaine de l’anthropologie ou de la psychanalyse, enfin, des choses où j’aurai vraiment acquis un savoir et où je peux être considéré comme un expert mais aussi celles, les domaines où j’ai acquis une certaine expérience comme par exemple les mathématiques appliquées. Il y a une déperdition par rapport à l’époque où j’ai étudié ces trucs-là : les années 60-70. Je ne vais pas faire l’ancien combattant qui dit : « C’était mieux avant ! », mais il y a – et ça, on le voit dans, je dirais, je le vois parce que j’ai des étudiants et des étudiantes – il y a une déperdition du savoir qui est manifeste, une « prolétarisation » au sens de Bernard Stiegler, un de mes invités récents.
Les gens comprennent de moins en moins ce qu’ils font. Quand je dis ça, je n’idéalise pas les années 60 et 70. Je pourrais dire qu’à l’époque, si on disait qu’il y avait entre la moitié et les deux-tiers des personnes qui sont des chercheurs scientifiques qui comprenaient ce qu’ils faisaient véritablement, j’ai le sentiment, d’après ce que je vois, qu’on est tombé en-dessous de la moitié, de gens qui comprennent véritablement, je dirais, l’épistémologie, l’heuristique, les méthodes et les objectifs de la recherche scientifique. Et malheureusement, on le voit dans la querelle autour de l’article dans The Lancet. Beaucoup de gens qui interviennent dans cette discussion, même tout proches du cœur de cette revue, n’ont pas l’air de manier véritablement, en connaissance de cause, les choses dont ils parlent, ce qui est vraiment inquiétant.
Donc, entre une explication complotiste et une explication scientifique, je choisis la scientifique sans hésiter [rires] mais, à l’intérieur même des explications scientifiques, je me méfie désormais – enfin bon, ça ne date pas d’hier – je me méfie de ce que je vois parce que je vois parfois des horreurs même dans l’abstract des papiers qu’on présente. Donc, il y a une déperdition dans le tri qui est opéré. Je ne parle pas de la hiérarchie entre les revues mais qu’une revue comme The Lancet, ou Nature, qu’ils y ait des querelles maintenant de savoir si on aurait dû accepter ou non tel ou tel article, ça, c’est inquiétant. Ça montre une perte à ce niveau-là. Mais, dans l’ensemble, je dirais, par rapport à l’état où on était il y a deux mois, par rapport au coronavirus, plutôt une évaluation optimiste de la situation dans laquelle on est.
Deuxième sujet : les Etats-Unis et là, qu’est-ce qu’on voit ? Hier, aujourd’hui, auront lieu aux Etats-Unis un très très grand nombre de rassemblements, conséquences de la mort de George Floyd, donc une personne afro-américaine tuée de sang-froid par un policier, par un groupe de policiers en fait, à Minneapolis dans le Minnesota, qui a conduit à des émeutes, à des pillages aux Etats-Unis et à des manifestations de solidarité partout dans le pays mais aussi, comme on a pu le voir hier, dans beaucoup d’autres pays où des questions du même ordre, c’est-à-dire une attitude de la police indigne vis-à-vis des personnes de la population, de la communauté, rappelle des choses même si les cas ne sont pas strictement comparables. En particulier, en France, le cas autour duquel les gens ont manifesté ces jours-ci n’est pas à strictement parler, comparable à ce qui s’est passé récemment aux Etats-Unis.
Et aux Etats-Unis, la surprise, la bonne surprise, c’est que dans le climat de guerre civile montante qu’on avait pu voir en voyant un président tout à fait hors du commun, « un objet populiste mal identifié » comme je l’ai appelé dans le titre du bouquin qui a paru déjà sur lui, de ma plume, on s’attendait à voir apparaître dans les rues – et on l’a vu un tout petit peu pendant le confinement – on a vu des groupes armés de partisans de Trump aller protester devant le capitole, devant la préfecture, l’hôtel de ville, des villes ou des états où le confinement avait lieu mais la surprise, la surprise en tout cas pour moi, c’est que c’étaient des groupes minuscules. C’étaient au maximum des centaines de personnes, pas des milliers. Il n’est pas parvenu à mobiliser véritablement ses troupes.
Par contre, quand il y a eu l’accident, la mort, la bavure de M. Floyd, ce sont des foules considérables qui sont apparues et qui vont défiler aujourd’hui. C’est-à-dire que la majorité, les gens qui n’ont pas voté pour Trump, on s’aperçoit qu’il y avait une majorité énorme contre Trump. Ce qui a joué pour lui, c’est d’une part une interférence d’un autre pays et la chose maintenant est bien documentée même si aux Etats-Unis, on est parvenu à étouffer cela. Mais c’est surtout, et là, je le disais à l’époque, fin 2015-2016, pendant toute l’année 2016, c’était l’absence d’un candidat, en l’occurrence d’une candidate sérieuse contre lui.
Et ça, je l’ai souligné pendant toute l’année 2016. Vous le trouverez, c’est un truc majeur dans le livre : les opinions défavorables. Pour la première fois dans une élection aux Etats-Unis, les deux candidats avaient des opinions massivement défavorables envers eux : 59 à 60 % d’opinions défavorables pour Trump, 59 à 60 % d’opinions défavorables pour Hillary Clinton, c’est-à-dire deux candidats dont les gens ne voulaient pas.
Et ces 60 % / 60 % d’opinions défavorables ont fait finalement que, bon, c’est presque à pile ou face qu’on a tiré le candidat qui est passé, c’est-à-dire un candidat dont une majorité nette ne voulait pas dans tous les cas. C’est ça qui a surtout été malheureux mais, bien entendu, c’est symptomatique d’une certaine méfiance de la population envers un type de fonctionnement démocratique qui a glissé vers le fonctionnement oligarchique et où l’opinion des gens individuellement ne joue plus beaucoup. Et en plus, aux Etats-Unis, un système électoral différent d’état à état qui fait qu’une élection, finalement, présidentielle, ne se joue que dans une demi-douzaine d’états en réalité puisque tous les autres sont soit massivement pro-Républicain, soit massivement pro-Démocrate. Avec des milieux urbains massivement pro-Démocrate et les milieux ruraux massivement pro-Républicain. Et avec, à l’intérieur du système, un système biaisé en faveur des grandes surfaces, des milieux ruraux qui sont surreprésentés alors que les milieux urbains sont sous-représentés.
Et donc, bon, qu’est-ce qu’on voit ? On ne voit pas que des jeunes qui manifestent par solidarité avec la communauté afro-américaine, manifestent des quantités considérables de Blancs, et d’Amérindiens, qu’on appelle là-bas Latinos ou Hispaniques,
C’est la population tout entière qui manifeste son ras-le-bol vis-à-vis d’un président. J’ai raconté ça l’autre jour : quand un reporter interroge un intellectuel important sur son opinion sur ce qui est en train de se passer et où le reporter est tout à fait décontenancé que, quand il demande : « C’est quoi l’explication ? » et le type dit : « Mais l’explication, c’est que M. Trump est un fasciste ! » et le reporter qui ne connaît le terme que probablement de l’avoir lu dans des livres d’histoire quand on parle de l’Italie, de l’Allemagne à une époque, etc., ou de différents mouvements, il tombe un peu de sa chaise. Il ne reconnaît pas trop le terme comme pouvant s’appliquer aux Etats-Unis.
Et c’est ça qui est en train d’avoir lieu : un soulèvement contre un fasciste au pouvoir, d’où les menaces de son ministre de la Justice, M. William Barr, la personne qui avait fait capoter en fait les conclusions du rapport Mueller, de menacer de faire interdire, en tant que groupe de terroristes domestiques dit-on là-bas, de terroristes métropolitains, les antifascistes, ce qui situe bien le personnage de William Barr : il sait où est l’ennemi, où sont les ennemis de Trump : les gens qui se caractérisent eux-mêmes comme antifascistes. Bien sûr, le groupe Antifa aux Etats-Unis n’est pas très éloigné des groupes qui recommandent des actions plus violentes que simplement de la protestation non-violente.
Enfin, je vais terminer avec la France. Je regardais, j’ai regardé par curiosité hier où se situait François Ruffin dans les sondages de popularité des personnalités politiques et le fait est que, pour les instituts de sondage, il n’est pas là depuis très très très longtemps ce qui fait que, quand il apparaît dans un sondage, il n’est pas collé à 0 : il est déjà à un niveau respectable. Mais ce qui apparaît, c’est que c’est une personnalité qui grimpe en popularité.
Bien entendu, un film comme « Merci patron ! » a joué mais aussi, bien entendu, la personne qu’il est et les actions qu’il mène depuis de nombreuses années, même longtemps avant qu’il ne soit élu député en 2017 dans la Somme. Bon, à des personnes qui me disent : « Oui, mais pourquoi, tout à coup, vous le soutenez ? ». Non, j’ai toujours eu la même opinion et le fait qu’un parti, que plusieurs partis soient venus le soutenir, comme La France insoumise et le Parti Communiste, le fait que je continue à le soutenir n’est pas une opinion de ma part sur La France insoumise ou sur le Parti Communiste, d’autant que ce sont eux qui se sont ralliés à Ruffin dont je soutenais l’action à ma manière depuis bien plus longtemps que ces partis ne se manifestent pour le soutenir.
En particulier, Ruffin est un personnage – et je l’ai rappelé l’autre jour en remettant les planches – il est un personnage de la bande dessinée que Grégory Maklès et moi avons faite : « La survie de l’espèce » et dont les planches ont été produites à partir, si j’ai bon souvenir, à partir de 2009, essentiellement peut-être en 2011. Le livre paraît en 2012, donc mon soutien à Ruffin en 2011 n’est pas une opinion émise d’une manière ou d’une autre sur La France insoumise (je ne sais même pas si ça existait déjà à l’époque [en effet : LFI est fondé le 10 février 2016]) ou sur le Parti Communiste.
Il ne faut pas mélanger les choses et pas me dire à moi : « Vous avez opéré un revirement par rapport à La France insoumise ». Non, ça n’a aucun rapport. Non, c’est vis-à-vis de Ruffin que j’ai une opinion. Et ça m’est venu hier soir, je venais de regarder la vidéo qu’il a faite lui-même sur son livre « Leur folie et nos vies ». Et j’ai eu envie d’écrire quelque chose et je l’ai fait là [Le gendre idéal – du moins pour quelqu’un comme moi ! (François Ruffin)]. Et je n’ai pas voulu être polémique donc j’ai mis, en comparaison, sa cote de popularité avec celle de M. Macron mais l’outil est là qui permet à chacun de comparer les popularités actuelles (il doit y avoir une vingtaine de personnalités, celles sur lesquelles on interroge des gens dans les sondages). Et donc, ça me fait plaisir, ça me fait plaisir que, voilà, que sa popularité soit non seulement en hausse mais qu’elle soit en hausse rapide, voilà.
Bien, allez, je vais vous laisser là-dessus. A bientôt !

Laisser un commentaire