Nous sommes le 1er juin 2020 et c’est la première fois, effectivement, que je fais une vidéo en la débutant à 22h47. D’habitude, je fais ça au saut du lit ce qui fait que, parfois, je ne suis vraiment pas réveillé et je bredouille abondamment. En général, je fais ça dans la matinée ou en début d’après-midi et là, qu’est-ce qui me pousse à faire une vidéo à cette heure-ci ? Eh bien, c’est l’actualité. C’est l’actualité aux Etats-Unis.
J’ai passé un peu… Bon, j’ai fait différentes choses. Si vous regardez un peu mon blog, vous voyez que je prépare des leçons, sur le rapport entre le christianisme et l’islam. Je lis pas mal de choses. Je me documente sur le christianisme en ce moment. Après, je passe à l’islam. En fait, l’islam, je me suis déjà préparé. C’est moins récent : j’ai relu pas mal de choses de mon professeur Armand Abel, grand islamologue à l’Université de Bruxelles. J’ai relu en particulier le livre qu’il a consacrés au Coran (Bruxelles : Office de publicité 1951).
Mais le reste de la journée, je l’ai consacré à regarder ce qu’on pouvait voir sur l’actualité aux Etats-Unis : les émeutes raciales qui ne sont pas nécessairement raciales non plus puisqu’on voit beaucoup de Blancs qui manifestent aux côtés des Noirs. C’est un peu une nouveauté.
Ça a existé. Il y a des Blancs qui se sont mis aux côtés des Noirs dans les années 60. Il y a une victime collatérale à laquelle je veux rendre hommage, c’est Jean Seberg, l’actrice de « A bout de souffle » de Godard qui a été tuée probablement par un service secret américain en raison des relations qu’elle entretenait avec les Black Panthers.
Mais bon, tout à l’heure, j’ai fait un petit billet et j’avais été blessé. Je crois que c’était hier ou avant-hier, je crois que ça devait être hier quand j’avais fait des remarques sur les pillages à Los Angeles et que quelqu’un avait fait une remarque en disant : « Ah oui, vous exprimez votre nostalgie de la Californie » et là, j’étais tombé des nues en me disant : « On ne comprend pas de quoi il s’agit ! ».
On ne comprend pas de quoi il s’agit : il y a des foules dans différents quartiers de Los Angeles en train d’exprimer leur colère, leur indignation et on me dit, quand je parle de ça, que c’est ma nostalgie de la Californie ! Mais alors, il y a encore plus fort. Quand j’ai fait mon petit billet tout à l’heure, j’ai dit : « Ecoutez, soyez gentils de ne pas, dans vos commentaires, de ne pas mentionner ma nostalgie de la Californie comme une explication possible » et là, j’ai encore reçu un coup de massue sur la tête encore plus considérable. Quelqu’un a dit dans un commentaire : « Colère contre qui et contre quoi ? ».
J’ai vécu en Afrique. J’ai vécu en Afrique. J’ai vécu en Afrique. Je dois raconter ça.
J’ai été un jour… Je visitais à Elmina au Ghana, je visitais une geôle dans laquelle se trouvaient des Africains enchaînés avant qu’on les mette sur les bateaux qui les emmenaient dans les colonies pour aller travailler, enchaînés. Ceux qui arrivaient jusque-là bien entendu… Et je crois que j’ai raconté ça ou bien je l’ai écrit dans un truc que je n’ai jamais montré à personne, c’est possible. Il y avait avec moi deux familles. Il y avait une famille de Noirs américains et une famille d’Allemands. Et les Allemands étaient là à gueuler, les enfants, tout ça. Ils ne savaient pas où ils étaient en fait. Ils ne savaient pas où ils étaient.
Mais la famille de Noirs américains, ils savaient où ils étaient. Et moi, je savais aussi où ils étaient. Et eux, ils ne gueulaient pas. Ils ne gueulaient pas. Ils ne gueulaient pas du tout.
Et à un moment donné, je suis allé vers eux et j’ai dit : « Excusez-moi. Excusez-moi au nom des Blancs. Excusez-moi au nom des Blancs ».
Alors, quand on me dit tout à l’heure qu’on ne comprend pas trop contre quoi je suis en colère, contre qui et contre quoi…
J’ai dit ça sur mon blog il y a peut-être 10 ans. J’ai dit, j’ai dit : « Un jour, je parlerai de l’Afrique, de ce que je pense de l’Afrique, de mon expérience en Afrique mais je ne suis pas encore prêt ».
Et je ne suis pas encore prêt aujourd’hui non plus à dire ce que j’ai vu.
J’ai raconté un incident. Je l’ai raconté récemment : je me suis engueulé avec un Britannique qui se conduisait comme aux pires temps de la colonisation. Mais je n’ai pas encore tout dit. Je n’ai pas encore dit ce que je pense vraiment. Et je ne suis pas prêt, je ne suis pas prêt encore.
Je regardais un peu tout ça : la colonisation du Nouveau Monde, la colonisation par les Espagnols et les Portugais. En 1526, Charles Quint avait pris un décret interdisant l’esclavage des Indiens. Un pape qui avait déjà pris des mesures [Paul III déclarait dans la lettre Veritas ipsa du 2 juin 1537 et la bulle Sublimis Deus du 9 juin 1537 que les Indiens, baptisés ou non, ne pouvaient être réduits en esclavage], il avait réagi avec une certaine vigueur à ce qu’il entendait dire sur la manière dont les conquistadors se conduisaient au Nouveau Monde.
Il y a eu ensuite cette controverse de Valladolid [1550-51]. Une décision est prise de considérer que les Amérindiens sont des êtres humains. Ce qui est bien [rires] : quel progrès ! Bon, tous les conquistadors avaient déjà des enfants métis avec leurs concubines qu’ils avaient ramenées de là-bas. Il y a une fameuse parmi elles : La Malinche.
La Malinche, c’est une Amérindienne. Cortés a dit que, sans elle, il n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait, c’est-à-dire massacres et compagnie. Voilà : il y a des complices. Il y a des gens qui y trouvent leur compte dans ces choses-là.
Et une des conséquences de la controverse de Valladolid, c’est que les Amérindiens ayant été exemptés – ce qui ne veut pas dire qu’on a les bien traités à partir de là ! [rires] – mais on s’est dit, ça a confirmé que les Africains, on pouvait en faire des esclaves comme on voulait puisqu’il n’était pas question d’eux dans cette affaire.
Je ne vais pas dire : « Comment ose-t-on ? » ou « Comment a-t-on osé ? » : je fais partie de l’espèce humaine. Je fais partie des gens qui… il y a peut-être un ancêtre quelconque à moi qui a été mêlé à ces histoires. J’ai fréquenté, en Afrique, des anciens officiers coloniaux qu’on avait recyclés dans des projets des Nations-Unies parce qu’on ne savait pas quoi faire d’autre. Je suis passé, l’autre jour, l’année dernière, je suis passé dans un petit village dans les Ardennes belges et il y avait une rue – c’était une petite rue, ce n’était pas un boulevard, c’était une petite rue dans un petit village – et le nom de la rue, c’était le nom de mon patron aux Nations-Unies qui, après avoir fait des ravages en Afrique en tant qu’officier colonial belge, avait été recyclé à faire des ravages en Afrique au nom des Nation-Unies. C’est la personne qui a essayé de m’assassiner.
Ce n’est pas une blague : j’ai des témoins. Moi, je n’y croyais pas -jusqu’à ce que les témoins viennent me l’expliquer noir sur blanc. Et ça m’a rappelé alors qu’au moment où je suis arrivé en Afrique – je ne sais pas, quelques jours plus tard – il y a une dame qui est venue me trouver à l’hôtel où j’étais en disant : « Écoutez, votre patron, il a essayé de tuer mon mari [un blanc]. Il a essayé de tuer mon mari, il va essayer de vous tuer aussi ! ». Je me suis dit : « Il y a des fous partout et j’ai eu la malchance de tomber sur une folle ». Or elle n’était pas folle du tout. Elle n’était pas folle du tout.
On m’appelait un « nègre blanc » au bout d’un moment. Vous savez ce que c’est un « un nègre blanc » ? C’est quelqu’un qui n’en peut plus de la manière dont les Blancs se conduisent. Et du coup, il est considéré comme un traitre à sa race parce qu’il est du côté des gens. On m’a demandé tout à l’heure si je pouvais donner une définition du Peuple. Eh bien, le Peuple, voilà… quand j’étais en Afrique, le Peuple, c’étaient les Africains.
Je ne vais pas dire que tous les Africains se conduisent bien : je viens de dire à propos de La Malinche que c’est une indienne qui a vraiment trahi, qui a trahi les siens. Je sais, son peuple était en guerre avec les Aztèques, etc., mais une fois que la question des Aztèques a été réglée, elle a continué à conseiller Cortés dans ses exactions.
Enfin voilà, toujours est-il que, dans la journée, M. Trump a appelé ses partisans à venir. Il a dit : « Il y aura une grande fête des MAGA ce soir, devant la Maison-Blanche », c’est-à-dire qu’il a appelé ses partisans surarmés à venir se battre contre les manifestants noirs et leurs soutiens [Ils ne sont pas venus].
Leurs soutiens ne sont pas seulement Blancs : il y a des soutiens Amérindiens. Je regardais la déclaration du chef de la police de Minneapolis, là où les incidents ont commencé. Il était interrogé par CNN et il exprimait sa honte. Il exprimait sa honte de ce qu’il s’était passé. Il exprimait sa sympathie envers la famille de la personne qui a été assassinée [George Floyd]. A un moment donné, son nom est apparu sur l’écran et c’était un nom hispanique. C’était un nom hispanique. Et à un moment donné, il a enlevé son képi aussi et on a davantage vu ses traits parce qu’il avait un masque. On a vu davantage ses traits. Et on a vu qu’il y avait une solidarité qui s’exprimait de la part des Native Americans, les indigènes massacrés, tués de manières diverses. Bon, oui, on vous dira toujours : « Il y a eu la variole » mais il n’y a pas eu que la variole [rires]. Et sa sympathie et le soutien qu’il apportait à la manière dont les Noirs américains ont été traités, c’est quoi, depuis 1619 ? Je crois me souvenir de cette date, je vérifierai, la première fois que des esclaves sont arrivés aux Etats-Unis [c’est correct]. Des esclaves noirs, inutile de le préciser.
Et une bonne nouvelle quand même, c’est que M. Trump a été emmené dans un bunker et quand il est rentré à Washington, après une déclaration où il a dit qu’il fallait faire attention parce que l’armée allait tirer et qu’on allait lancer des vicious dogs, qu’on allait lancer des chiens méchants contre ceux qui étaient là, rappelant les pires souvenirs des émeutes autour de la déségrégation dans les années 1960. Mais je regardais là, je regardais les nouvelles. Il y avait des gens qui parlaient de ce bunker et ça m’a fait revenir à l’esprit Hitler dans son bunker et qui perd complètement les pédales, et qui appelle les troupes – des troupes qui n’existent plus, qui sont en débandade.
On a vu, on a vu dans la journée… On avait déjà vu hier des policiers, en particulier à New York, qui ont fait ce geste qui avait été lancé par ce footballeur de football américain [Colin Kaepernick] pour manifester son indignation contre encore un meurtre contre un jeune noir américain. Il avait mis un genou en terre lors de l’hymne national américain. Et là, on l’a vu aujourd’hui et hier, des policiers qui ont fait ce geste par solidarité.
Une fois de plus, on va dire : « Oui, c’est loin, c’est aux Etats-Unis ! » mais on avait dit à propos des hamburgers que ça ne viendrait jamais en France. On avait dit à propos de Halloween : « Qu’est-ce que c’est ce truc bizarre ? Ça ne viendra jamais en France ! » et quand je suis rentré 10 ans plus tard, la première chose qui m’a accueilli, c’était des enfants venant frapper à ma porte à Vannes, en Bretagne, pour Halloween. Ah là, là. Ça m’a donné un coup de bourdon ces enfants qui, voilà… C’est un vieux truc. Ça vient en fait d’Angleterre au départ. C’est la fête de Guy Fawkes, du conspirateur, du conspirateur Guy Fawkes. Ça s’est mélangé avec la fête des morts mexicaine [Dia de los Muertos] et puis, ça nous revient chez nous comme une façon de faire sauter, de faire exploser la fête des morts. La fête des morts qui était une fête digne, qui était une fête digne. Et là, c’est une parodie de sorcières, de trucs divers. Et quand on voit ces trucs-là… Il y a eu, il y a déjà eu des choses en France de cet ordre-là parce que, oui, il y a eu des colonies françaises et les questions des colonies françaises n’ont pas non plus été réglées une fois pour toutes. On ne va pas partir là-dessus. [en fait, il n’aura pas fallu quinze jours avant que Black Lives Matter ne s’impose en France aussi].
C’est connu, cette incapacité des êtres humains à passer à la réciprocité positive, d’être dans le meilleur des cas à la réciprocité négative : « Si tu me fais un truc, je te rendrai la pareille… » et, dans le pire des cas, dans la non-réciprocité : « Vous n’êtes rien. Vous êtes invisible ». Vous êtes invisible jusqu’à ce que, après avoir poussé sur le couvercle de la marmite, la marmite finit quand même par exploser et qu’il y ait des gens comme vous et moi pour qui tout ça est insupportable, cette incapacité à comprendre qu’on est là, qu’on est là tous ensemble et que ce n’est pas en s’entredéchirant qu’on résoudra quoi que ce soit. C’est uniquement en menant la barque tous ensemble. Et la vision qui me vient à ce moment-là, ce sont ces splendides pirogues africaines que j’ai vues sur les plages de Cotonou, de Grand-Popo, d’Elmina, de… je cherche le nom d’un autre port au Ghana [Cape Coast], sur les plages du Libéria, du Sierra Leone, du Sénégal, les plages du Congo aussi où j’ai vu ces bateaux partir avec 12 personnes qui rament comme des fous pour traverser la barre [succession de 3 ou 4 quatre très grosses déferlantes] pour aller gagner leur vie et pour rapporter le poisson qui permettra à tout le village de vivre.
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